Merci à Bastien Bonnefous du journal Le Monde pour cet article très représentatif des Ecoles de Production
« REPORTAGE Ces établissements privés d’enseignement technique, créés à la fin du XIXᵉ siècle, sont mis en avant par le gouvernement pour répondre au besoin de main-d’oeuvre dans l’industrie. Reportage à Compiègne, dans l’Oise, dans une de ces écoles qui forment aux métiers de la chaudronnerie et de l’usinage.
Les gestes sont rapides et précis. Les mains positionnent le pavé d’aluminium entre les mâchoires d’acier de l’imposante fraiseuse, puis programment sur l’écran de bord tactile l’épaisseur (4 millimètres) du découpage de la surface de la pièce. Les copeaux d’aluminium volent dans l’air pendant quelques secondes, et Thomas termine à l’ancienne les finitions sur les tranches, à la lime. Agé de 18 ans, le jeune élève en baccalauréat professionnel technicien d’usinage, aux lunettes sages et à la coiffure taper à la mode, réalise son « chef-d’œuvre » – une voiture télécommandée en aluminium, entièrement dessinée, découpée et assemblée par ses soins.
Il fait partie des 54 élèves de l’école de production O’Tech, située dans la zone industrielle de Compiègne (Oise), l’une des 67 écoles de production que compte la France. Ces établissements privés d’enseignement technique, à but non lucratif, forment aux CAP et aux bacs pro industriels quelque 1 400 élèves âgés de 15 à 18 ans, souvent en difficulté scolaire ou sociale. Sauf pour Thomas, qui avait d’excellentes notes au collège : « O’Tech n’est pas qu’une école de décrocheurs, tient-il à préciser. Les métiers de l’industrie m’ont toujours attiré, j’ai besoin de fabriquer, j’aime voir la pièce se dessiner sous mes yeux. »
Les écoles de production sont devenues partie prenante de la stratégie de réindustrialisation du gouvernement, en lien avec les territoires. En particulier pour répondre aux pénuries de main-d’œuvre dans les métiers industriels, alors que, selon les chiffres officiels, quelque 70 000 postes sont toujours vacants. Elles sont généralement créées à l’initiative d’entreprises qui peinent à recruter dans leur bassin d’emploi, et qui souhaitent promouvoir les filières industrielles. Total Energies est le plus important mécène de la Fédération nationale des écoles de production, également soutenue par l’Union des industries et métiers de la métallurgie, la Fédération française du bâtiment et la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment.
La scolarité est gratuite pour les élèves – une année coûte plus de 10 000 euros par personne – car ces écoles sont financées par les pouvoirs publics et les entreprises. Leur modèle est ancien : la première a ouvert en 1882 à Vaulx-en-Velin (Grand Lyon), créée par l’abbé Louis Boisard, un prêtre-ouvrier qui voulait à sa façon évangéliser les jeunes par le travail industriel. Longtemps embryonnaires, ces établissements ont commencé à être mis en avant pendant le quinquennat de François Hollande, puis leurs formations ont été reconnues par l’Etat en 2018. Deux ans plus tard, le ministère de l’économie a lancé un premier appel à projets national pour en augmenter le nombre.
Enseignement axé sur la pratique
La loi sur l’industrie verte votée en octobre 2023 fixe pour objectif la création de cent d’entre elles d’ici à 2027, et la réforme du lycée professionnel s’inspire largement de leur philosophie du « faire pour apprendre », qui se veut très concrète et au plus près des besoins des entreprises. Les deux tiers du temps scolaire des élèves se passent en atelier avec pour professeurs des « maîtres professionnels » venus du monde industriel, pour produire directement des commandes de vrais clients (entreprises, collectivités locales ou particuliers) aux prix du marché. Des méthodes qui se veulent formatrices, mais qui peuvent faire grincer des dents dans le monde éducatif. En 2019, la Fédération CGT de l’éducation, de la recherche et de la culture dénonçait notamment «l’exploitation» des élèves « non payés », mais dont « la production est vendue».
A Compiègne, les élèves travaillent en ce mois de février à la fabrication d’un portail pour un cabinet d’architecture de la ville ou à la conception de pièces métalliques pour un parc d’attractions en région parisienne. L’école O’Tech a été ouverte en 2021, sous l’impulsion de trois industriels de l’Oise : Poclain Hydraulics, Safran Aerosystems et les Constructions mécaniques de Chamant. Elle a coûté 3 millions d’euros, dont 800 000 euros ont été versés par l’Etat au titre du plan de relance et 200 000 euros par la région des Hauts-de-France et l’agglomération de Compiègne, qui a aussi acheté le bâtiment qui abrite l’établissement. « On veut réenchanter l’industrie en France et attirer des jeunes vers des métiers d’avenir, bien payés et qui ont du sens dans la transition climatique », explique Laurent Bataille, PDG de Poclain Hydraulics et président de l’école.
Les élèves y sont accueillis après un stage d’observation d’une semaine. « On ne soucie peu de leurs notes au collège, ici, ce qui compte le plus, c’est leur motivation », précise Bruno Batailly, le directeur général d’O’Tech, un ancien ingénieur concepteur passé par les entreprises Weldom ou Decathlon. L’enseignement axé sur la pratique, séduit les élèves, réunis par groupe de huit à douze. « Dans un lycée pro, on fait plus de théorie et on fabrique pour de faux des pièces qui finissent à la benne, alors qu’ici on travaille pour de vrai », s’enthousiasme Lucas, 17 ans, en deuxième année de CAP chaudronnerie, tout comme Ticia, 18 ans, qui vise déjà un BTS en soudure pour « travailler plus tard dans l’aéronautique ». « Au collège, je m’ennuyais et j’étais rabaissée, ici on me met en valeur, c’est comme une famille », explique la jeune femme.
La Fédération nationale des écoles de production reconnaît casser les codes par leurs méthodes. « On est une voie complémentaire au lycée professionnel et à l’apprentissage, en étant à la fois une vraie école et une vraie entreprise », estime Clément Dusart, responsable régional Grand Nord-Est de la fédération. L’approche connaît un succès croissant : en 2020, la seule région des Hauts-de-France comptait trois écoles de production ; quatre ans plus tard, on en dénombre onze. »
Thomas effectue une opération de surfaçage sur la pièce d’aluminium qui deviendra son modèle réduit de voiture. A l’école de production O’Tech, à Compiègne (Oise), le 15 février 2024. BRUNO FERT
Tableau sur lequel les élèves placent leurs photos en fonction de leur humeur en arrivant le matin. A l’école de production O’Tech, à Compiègne (Oise), le 15 février 2024. BRUNO FERT POUR « LE MONDE »
Lyse, 17 ans, en seconde année de chaudronnerie, a choisi de faire le même métier que son père. A droite, une rose en acier qu’elle a fabriquée en marge de ses cours. A l’école de production O’Tech, à Compiègne (Oise), le 15 février 2024. BRUNO FERT POUR « LE MONDE »